
La surface n'est pas loin, cette fine membrane qui scintille sous la main. Elle ondule, elle vibre ainsi que sous une caresse invisible. Les éclats irisés
qu'elle projette, comme les rayons du soleil à travers une fenêtre, appellent, interpellent, agitent les échos d'une lancinante ritournelle, rythme oublié d'une ode à la liberté.
Le mouvement est certain, vaste, intense et plein d'une énergie qui brûle d'un feu indistinct, force brute qui ne demande qu'à jaillir du soir au matin en une éruption de jouissance et de
plaisirs sans fin. L'élan qui est ainsi impulsé ne peut plus être arrêté, ainsi qu'un vent qui se lèverait et balaierait miasmes et freins.
La pulsation s'exprime enfin, en une impulsion qui montre le chemin, vers ce que l'on appelait de ses vœux sans croire qu'elle pourrait se montrer, se partager, s'offrir entre deux alter-egos,
non pas en moitiés mais en totalité à partager pour ne plus faire qu'un une fois les vœux scellés.
Il demeure cependant cette vitre, translucide et pourtant perceptible qui coupe la vie entre le dehors et le dedans, entre le plein et le néant, entre l'entrain et l'enfermement. Elle ne bloque
pas la vue, ni les paysages inattendus, mais s'impose comme un rempart vers cet ailleurs, ce nulle part, cet extérieur qui propose sa part de hasard pour les surprises et le meilleur de ce qui
nous anime du matin au soir.
Il reste encore cette hésitation à admettre qu'il est temps de changer de position, de ne plus hésiter à assumer ses sensations, ses vérités, ni bonnes ni mauvaises, mais sources de toutes les
destinées où l'on s'extirpe soi-même de la glaise pour se façonner et donner corps à tout ce que l'on voudrait, pourrait, désirerait, jusqu'à créer ce que l'on a toujours espéré : sa propre
luminosité.
Il traîne malgré un drôle d'arrière goût où le fruit croqué ne délivre qu’amertume et aspérités sur lesquelles on s'en vient se blesser et saigner, en signe que l'on est vivant et incarné, et
peut-être plus sensible qu'on le supposait. Se débarrasser de ce malentendu, de ce qui perturbe tous les sens, de l'odorat à la vue impose une surprenante métamorphose où l'on se doit à présent
de plonger au cœur des choses.
Nous voici alors avec ce que l'on est, ces envies d'être ce que l'on souhaiterait, et cette infime barrière qui force à plonger dans ces liens qui nous retenaient d'enfin pouvoir émerger à la
lisière du monde en totalité, et non plus restreint et limité par ce que l'on s'imposait de contraintes et de sévérité, intransigeant dans ce que l'on s'autorisait sous le contrôle de la raison
et de la vérité, marâtres étouffantes qui ne laissaient qu'un minuscule filet d'air pour respirer et sentir nos poumons s'emplir de cette vie à laquelle on aspirait.
Nous voici alors avec cet esprit et ce corps, danseurs effrénés qui n'en finissent plus de se marcher sur les pieds dans une sarabande à qui serait le seul et l'unique à guider ce couple
magistral au sein duquel, si l'un bascule, l'autre est entraîné, aussi résistant se croit-il et préparé, alors que cette reliance n'est pas de celle qui peut être désarticulée par la simple chute
impromptue ou baisse de volonté, tant est puissante cette interdépendance qui fait que l'on est un et incarné.
Nous voici alors à nous examiner, scrutateur prudent qui hésite à nommer, désigner, admettre que cette épée que nous tenions à bout de bras vient de déraper et se planter dans notre pied à nous
empêcher d'avancer, nous clouant au sol à ne plus savoir comment l'en extirper et incrédule d'une telle maladresse que rien ne pourra rattraper, sauf à consentir à se faire aider et accepter de
se poser afin de se faire soigner, toute honte bue et larmes ravalées de n'avoir pas su se protéger.
C'est ainsi qu'enfin mis à l'arrêt, dans ce souffle inattendu et ces bourrasques sorties des nues que pourra se faire cette transformation, cette révélation, cette mise à nue sur qui l'on est,
nos croyances, nos ambitions, tout ce magma intense d'amour et d’émotions qui nous constitue mais que nous reniions pour ne pas ouvrir la porte à cette fantastique pulsion où le mal qui survient
est à la fois vecteur et résolution de l'équation qui nous conduit au bonheur auquel nous aspirions, en un phénoménal moteur vers notre destination, cet Eden qui nous paraissait hors toute
atteinte et toute raison.
C'est ainsi que toutes ces lumières éteintes vont soudain se rallumer et nous éclairer des pieds au front pour faire de nous cet astre qui rayonne dans toutes les directions et non plus cet
espèce de scintillement qui peinait à se frayer un chemin à travers toutes ces bandelettes, ces chaînes, ces interdictions et nous transformait en momie de notre propre condition, emmuré
volontaire dans nos magistrales contradictions à vouloir rester parfaitement respectable quelles que soient les situations, idéales ou infernales, pour peu qu'elles ne perturbent pas nos petites
ambitions.
C'est ainsi que le jour peut enfin s'installer, non pas qu'il eût été perdu ou dissipé, mais parce que nous tenions ostensiblement les volets fermés à nos désirs et à nos possibilités de devenir
et de vibrer, non plus ce que l'on nous a inculqué mais ce qui nous a toujours animé, cette force de vie qui nous a permis de ne pas nous effondrer face à de tels dénis et d'aussi récurrentes
insanités où être soi ne pouvait se concevoir qu'en reproduisant ce qui avait déjà été tenté, en dépit des échecs cuisants et des malédictions proférées qui nous empêchaient de nous tenir droit
et de nous exprimer.
Nous pouvons à présent contempler que le plus dur a été traversé, ce magma informe de tous nos rêves avortés, en autant d'enfants qui ne seront plus jamais nés, mais laisseront la place à notre
identité, cette structure immuable que nous proposons au monde au sein duquel nous pouvons maintenant nous autoriser à non plus craindre mais expérimenter, à non plus feindre mais exprimer, à non
plus éteindre mais allumer nos envies, nos désirs, nos secrets pour les partager et les offrir à chacun et chacune qui croiseront notre chemin et oseront eux aussi tendre la main, en un geste
timide de reconnaissance, de soudaine et forte confiance à ce que nous sommes et ce que nous proposons, l'affirmation de notre singularité et de notre condition, imparfaits peut-être mais fiers
d'avoir su dépasser nos peurs, nos hésitations dans une grande clameur de libération et une joyeuse jubilation.
Il n'est pas dit que cette inespérée décantation de tout ce qui nous sédimentait et nous fossilisait n'ouvre pas la porte à un scintillement de sensations que nous connaissions mais ignorions,
incomprises mais intuitions, insaisissables mais perfections dans un foisonnement de révélations que nous tenions en nous toutes les réponses à nos questions mais que nous rejetions, parce que
trop proches, trop accessibles, trop d'émotions vers l'invisible de notre condition, cette brume de perceptions qui a toujours montré que le vrai chemin n'est pas celui de la raison, mais de
l'exploration et de l'expérimentation où l'issue vers notre propre guérison n'est pas celle que nous avons toujours cru connaître, mais bien celle que nous avons toujours su, mais que refusait
d'entendre notre tête, elle qui s'enorgueillait de faire à la fois l'ange et la bête, en un redoutable ballet qui manquait à chaque occurrence de basculer pour transformer la danse en transe et
nous obliger à exsuder nos impuretés dans la violence de l'incapacité à être, à transcender nos possibilités, non pas pour programmer, mais créer, inventer, laisser libre cours à notre générosité
de construire, non pas une tour ni un palais, mais un monde au complet.
Il est cependant sûr que cet état n'est pas mystifié, que ce que l'on sent au creux de soi est ce que l'on avait toujours espéré, cette éclat pur et parfait, ce battement, non plus de cœur mais
de notre corps tout entier qui transforme la moindre petite lueur en gigantesque brasier, non pas incendie incontrôlé mais alchimie révérée, cette transmutation qui conduit à s'écouter,
s'entendre et se respecter, sans ne plus perdre un seul instant pour s'envoler dans la direction que l'on a devinée, celle de notre unique, profonde, rythmée :
respiration,
comme une nouveau-né,
heureux, surpris et impatient
de pouvoir enfin grandir, apprendre, aimer comme il l'a décidé.
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